Le pouvoir des mots

Article : Le pouvoir des mots
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22 novembre 2018

Le pouvoir des mots

 

Ce jour-là on faisait match nul et il était dans les environs de 19h car on entendait la voix du vieux muezzin qui lançait ses premiers cris pour l’appel à la prière. A l’horizon, le soleil n’était presque plus visible. Comme d’habitude dans ce genre de situations pour se départager on passa directement à la séance des tirs au but. Après quelques tirs, la balle de match revint à Amadi, autrement dit s’il marque on repartirait avec la victoire.

On était déjà prêt à célébrer notre apothéose lorsqu’il saisit le ballon car il est tout simplement notre joueur vedette, celui qui est capable de dribbler toute une équipe et marquer malgré son physique rachitique. Sans broncher et avec une confiance en soi digne d’un Ronaldinho[1], Amadi ne rata pas l’occasion pour nous offrir la victoire même si pour une fois le gardien adverse était proche d’intercepter son tir.

On exulta aussitôt de joie car c’était notre première triomphe contre cette équipe qui nous battait presque toutes les fois qu’on se croise au point de se surnommer sans la moindre modestie LES INVINCIBLES. D’ailleurs dans cette euphorie, on s’était vraiment bien moqué d’eux en leurs disant d’aller se dénicher un nouveau sobriquet car invincibles, ils ne le sont plus.

Mais notre célébration fut de très courte durée. En effet, quelques temps après ce but victorieux, approximativement deux ou trois minutes on entendit un bruit lourd, une sorte d’explosion. Honnêtement au début j’avais cru que c’était l’œuvre de Momo pour amplifier notre jubilation car partout où il rode, vous aurez une chance sur deux qu’il vous sorte un pétard de l’une de ses poches. Mais je m’étais fourvoyé, c’était notre ballon, mon tout nouveau ballon qui venait d’éclater.

En réalité Amadi frappa le ballon si fort que ce dernier heurta le tronc du baobab qui nous servait de poteau avant de se retrouver projeter sur la route latéritique d’à côté où une voiture rouge de marque Peugeot qui roulait à toute allure y passa dessus sans pour autant s’arrêter malgré la détonation.

Comment mon jouet peut finir comme ça ? Moi, Tyson, le plus belliqueux de notre équipe, celui qui n’hésitera jamais à vous montrer d’où vient son surnom (comparaison avec le célèbre boxeur américain Mike Tyson), comment accepter cela ?

Pour moi c’est simple : Amadi me doit un ballon semblable comme une goutte d’eau au mien. Je me dirigeai aussitôt vers lui en vociférant, en pérorant et en le menaçant que si jamais il ne me ramène pas un nouveau ballon d’ici demain soir…

Avant même que je saisisse le col de sa chemise bleue sur laquelle était écrit au dos en blanc : ZIDANE et au milieu le chiffre 10, ses yeux étaient pleins de larmes. Pendant que je le maintins en sandwich entre moi et le baobab tout en poussant des vociférations, je sentis quelqu’un me tapoter sur l’épaule droite. Je retournai la tête et mes yeux croisa aussitôt le visage souriant du vieux Halidou qui partait à la mosquée, je baissai la tête. Halidou, c’est le grand sage du quartier que tout le monde respecte, même nous les bagarreurs. D’ailleurs beaucoup de gens le consultent pour bénéficier de ses conseils avisés afin de résoudre à l’amiable leurs disputes.

J’ai toujours pensé que ce vieil homme n’a pas volé son surnom : LE MEDIATEUR, de même que moi également car j’ai défiguré plus d’un visage. Comme on est différent !

Halidou me dit en maintenant toujours sa main sur mon épaule  <<Mon fils, calme toi, vois-tu la violence ne résout rien, au contraire elle ne fait que détruire les relations, on doit être plus tolérant envers les plus faibles que nous et surtout se parler, la parole résout facilement les problèmes car ça nous permet de nous comprendre. Mon fils, laisse ton ami, je vais plaider auprès de ton père pour qu’il te paie un nouveau ballon et si je ne le vois pas ce soir à notre Fada[2] je ferai une escale au marché pour t’en trouver un ok mon garçon ?>>.

Je ne sais pas à quel moment précis j’ai lâché ce froussard mais je sentais toujours la main de Halidou sur mon épaule qui se servit de l’autre main pour effacer les larmes de Amadi en lui disant avec une voix qui me sembla plutôt douce pour un homme aussi âgé, peut-être qu’il s’est efforcer à adoucir sa voix, circonstance oblige : <<Pleure pas mon fils, c’est fini, juste présente lui tes excuses>>. Ce qu’il fit aussitôt en une phrase simple mais entrecoupée par les bruits répétitifs de reniflements qu’il lançait comme si mes mises en garde l’ont enrhumé.

J’acceptai ses excuses en lui disant même : << ce n’est pas grave, tu n’as pas fait ça par exprès, c’est à moi-même de m’excuser>>. Je lui tendis la main qu’il s’empressa aussitôt d’empoigner avec en bonus un sourire qui laisse apparaitre ses dents crasseux.

Apres ce petit moment affectueux, Halidou continua son chemin avec Amadi car ce dernier habite à proximité de la maison qui fait face à la mosquée. Moi, j’étais figé là, pantois, les yeux béants et la bouche ouverte, les regardant partir tout en tachant de comprendre ce qui venait de se dérouler.

Ce qui m’étonna le plus, était mon discours tenu à Amadi devant Halidou. Jamais je n’ai dit pardon à un marmot du quartier, surtout pas si je le prends par le col de sa chemise. D’ailleurs dans cette situation je crois que tous les enfants connaissent la suite car s’ils n’ont pas été victime, ils ont au moins assisté ne serait-ce qu’une une fois à mon spectacle. Ils savent qu’il n’y a que deux options :

  1. Soit je le terrasse en se servant de mon pied droit comme David Douillet[3] et recouvrir ensuite son visage de sable (synonyme d’humiliation ultime)
  2. Ou bien je libère ma main dominante pour lui en coller une bonne droite, comme un boxeur. Mais cette dernière alternative est réservée à ceux qui m’ont causé vraiment un tort immense, comme insulté mes parents par exemple.

De loin j’entendais la voix de mon petit frère qui disait que ma tante Fatima m’appelle, certainement pour venir sangler sa vache car c’est l’heure habituelle où le berger ramène les animaux du pâturage. Comme un sourd je ne tournai même pas la tête, j’étais toujours à côté du baliveau contre lequel j’appuyai mon dos. La seule chose qui me revint alors à l’esprit est une partie de l’allocution du suranné Halidou <<la violence ne résout rien >>

Je m’étais rendu compte qu’il y a une force plus puissante que les poings : la parole, les mots justes qui sont une autre forme d’action mais qui au lieu de se terminer par des dents en l’air, des égratignures, des contusions … se terminent plutôt par un échange de sourire et des excuses. Comme le dit Hannah Arendt[4] : << les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action >>

Cet évènement m’a énormément affecté et j’en porte même des traces aujourd’hui.

Non seulement cela marqua la fin de mes bagarres répétitives mais aussi et surtout la naissance d’une grande amitié avec Amadi qui est à ce jour l’un de mes plus grands amis. Le serions-nous aujourd’hui si Halidou n’était pas intervenu ? Pas sûr.

Que Dieu bénisse ce géronte !

La principale leçon que j’ai pu retenir de cet incident est que les mots sont pleins de pouvoirs, assez d’influence pour apaiser un Tyson déchainé, assez d’omnipotence pour stopper une tempête, assez d’autorité pour tout changer …

Comme l’affirme Gilles Leveillé[5] <<Il n’y a que les mots pour la compréhension, mais un mot juste parfois peut tout changer. >>

Malheureusement de nos jours, on vit dans un monde où pour se faire entendre et comprendre, les gens ont plutôt tendances à se servir des armes : le pouvoir des armes.

Est-ce humain qu’un mortel lève une arme contre son prochain ?

Pourquoi cette course folle à l’armement ?

Existe-t-il un moyen autre que le bain de sang pour régler nos différends ? A cette dernière question je préfère répondre, par ma toute sobre expérience, tout simplement : OUI !

Oui il y’a un moyen autre que les armes pour fraterniser et régler tous nos conflits, aussi énormes soient-ils. Cette possibilité n’est autre que le dialogue, les mots, la diplomatie …

L’idéal est que chaque humain soit doté d’un d’état d’esprit paisible, au sens large même du terme pour vivre dans une planète où les armes ne résonneront plus. Est-ce possible ? Sans être extravagant je souhaite répondre par l’affirmatif même si c’est un songe qui frôle l’utopie.

Tout dépend de notre volonté de remplacer le pouvoir des armes par celui des mots.

<< Il y’a beaucoup de causes pour lesquelles je suis prêt à mourir, mais aucune cause pour laquelle je suis prêt à tuer>> Gandhi

L’une des importantes démarches à suivre pour aboutir à cette issue à mon humble avis est l’éducation : l’éducation au pacifisme, à la grandeur de la vie humaine que nos écoles doivent fournir à notre jeunesse.

Comme Nelson Mandela l’a si bien notifié : <<l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde>>

Pourquoi ne pas fixer à côté des cours de Mathématique, Chimie … une autre matière intitulée : SAGESSE ou PACIFISME qui inculquera aux générations à venir les voies et moyens à adopter pour se servir du pouvoir des mots partout où besoin sera plutôt que celui des armes ? Le Vieux Halidou en serait d’ailleurs un excellent professeur.

Le rêve de voir une utilisation du pouvoir des mots à l’échelle planétaire comme moyen unique de résolutions de nos litiges et contrer ainsi ceux qui prônent le pouvoir des armes me pousse cependant à soulever cette question finale : est-ce que les puissantes nations, qui ont bâtis une partie de leurs notoriétés sur le pouvoir des armes sont prêtes à embrasser cette alternative, aussi noble soit-elle ?

 

 

 

 

[1] Sans doute le meilleur joueur de football au monde à l’époque

[2] Une sorte de club ou les gens de même âge généralement se rencontrent pour bavarder et prendre du thé

[3] Célèbre judoka français devenu homme politique, le centre de judo près de mon quartier porte son nom

[4] Philosophe allemande naturalisée américaine, morte en 1974

[5] Virtuose de la composition et de l’orchestration

 

 

 

 

 

                               

 

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